XV
Le Popocatépetl

 

Le trajet à cheval de la côte jusqu’à la ville de Mexico fut très agréable. Tout se passait exactement comme l’avait prédit Steve Austin – et comme ne s’y était pas attendu Calvin. Leur bateau avait fait relâche dans le port franc de La Vraie-Croix, où les Blancs pouvaient venir commercer sans crainte qu’on les offre en sacrifice. Ils avaient passé trois jours à trouver des interprètes, acheter des provisions, charger les mules, puis s’étaient rendus à la porte de la ville qui donnait accès à l’intérieur du pays.

« Pas prudent de sortir, fit le gardien de la porte.

— On sort quand même, dit Steve Austin. Écartez-vous.

— Je vous laisserai pas passer. Les Blancs meurent dehors, ça fait mauvaise réputation à la ville de La Vraie-Croix. »

Austin braqua un pistolet sur la tête de l’homme.

« Non, non, fit Calvin d’un ton impatient. À quoi ça sert de m’avoir amené si vous vous mettez à tuer l’monde ? Et si on a b’soin de revenir icitte et que grâce à vous ils nous tirent dessus à vue ?

— Quand on reviendra, on sera les maîtres du Mexique.

— Très bien, dit Calvin. Mais laissez-moi m’occuper d’ça. »

Austin rabaissa son pistolet. Calvin étudia les portes un moment en se demandant si ça valait la peine d’en faire un événement à grand spectacle ou s’il valait mieux rester dans le domaine pratique. Il se dit qu’une opération tape-à-l’œil, comme les portes qui prennent feu et tombent en cendres, serait dans le cas présent du gâchis. C’étaient les Rouges hors de la ville qu’il fallait impressionner.

Il fit donc fondre les pivots des gonds puis, d’une légère poussée, s’assura que les portes s’abattaient vers l’extérieur et non vers l’intérieur.

Le gardien – qui n’avait plus rien à garder – haussa les épaules et s’écarta. Et les cavaliers sortirent, une centaine de Blancs puissamment armés, pour aller attaquer les Mexicas.

Presque aussitôt ils se heurtèrent à des soldats mexicas. Il ne s’agissait pas des guerriers armés de massues que Cortez avait affrontés trois siècles plus tôt. Ceux-ci étaient à cheval et portaient des fusils sans doute achetés aux États-Unis, vu que Philadelphie – la cité de l’amour fraternel – avait une industrie d’armement florissante. Ils entourèrent tout de suite l’armée d’Austin qui se hérissa d’armes prêtes à tirer.

« Patience », dit Calvin à Austin. Ce n’était pas difficile de faire du feu, mais plus compliqué de l’allumer en cercle, et il roussit quelques chevaux mexicas lorsque les flammes n’allèrent pas vraiment là où il l’avait prévu. Mais la démonstration n’en fut que plus efficace. Les Mexicas reculèrent sur leurs chevaux qui bronchaient et hennissaient, mais ils mirent pied à terre et se préparèrent à tirer à travers les flammes.

Calvin était prêt. Il savait comment Alvin se sortait d’une telle situation : il recourbait l’extrémité des canons, si bien que l’ennemi ne se risquait pas à tirer. Mais Calvin tenait à ce qu’ils tirent. Aussi resserra-t-il l’intérieur de chaque canon, pas beaucoup, mais suffisamment pour empêcher la balle de sortir. Il dut se décarcasser pour trouver tous les fusils et les obstruer avant que le tir commence mais, grâce au capitaine mexica qui n’arrêtait pas de leur crier de se rendre pendant que les chevaux paniqués mettaient la pagaie dans les rangs des soldats, il eut le temps de mener sa tâche à bien.

« Tirez pas, dit-il.

— Mais ils vont nous lâcher une salve, fit Austin.

— C’est ce qu’ils croient. »

Le capitaine mexica donna l’ordre, et les soldats pressèrent la détente de leurs fusils.

Sur quoi toutes leurs armes explosèrent sans exception, tuant ou aveuglant la plupart des soldats, et leur emportant souvent la tête.

Le capitaine mexica se retrouva seul debout, son épée de cérémonie en obsidienne à la main, tandis qu’un petit nombre de ses hommes vivaient encore assez pour se tortiller par terre en gémissant ou en hurlant de douleur.

« Abattez-le ! brailla Austin.

— Non ! s’écria Calvin. Laissez-le partir ! Vous voulez que quèqu’un raconte cette histoire, non ? »

Austin n’aimait pas qu’on le contredise, mais il était évident que Calvin avait raison. À quoi bon donner un tel spectacle s’il ne restait plus personne pour aller raconter au reste des Mexicas l’arrivée de ces Blancs à la puissance formidable ? Si Austin avait pris ombrage du contrordre donné par Calvin, tant pis. S’il ne voulait pas que ça arrive, il n’avait qu’à éviter de donner des ordres ridicules. Et puis ça ne faisait pas de mal à Austin de se rappeler qui détenait réellement le pouvoir. Austin comptait peut-être devenir empereur du Mexique, mais, s’il y parvenait, ce serait parce qu’il avait Calvin le Faiseur avec lui.

Calvin avait cru qu’il lui faudrait recourir à d’autres démonstrations, mais tout se passa mieux qu’il l’avait espéré. À la première ville où ils arrivèrent, l’alcade sortit à leur rencontre, signala avec insistance que la population n’était pas mexica et supplia le puissant prêtre qui les accompagnait de ne pas leur faire de mal.

Austin fit un discours affirmant qu’ils venaient redonner un bon gouvernement au pays et le libérer du joug des Mexicas sauvages, meurtriers et sanguinaires. À la suite de quoi la population l’acclama, et l’alcade insista pour adjoindre cinq cents hommes à leur expédition vers Mexico. Comme il ne s’agissait pas de vrais soldats mais de simples civils, dont beaucoup de vieux, seulement armés de gourdins et d’épées de cérémonie, Austin voulut bien les laisser venir. Mais il tint à ce qu’ils apportent leurs propres vivres et qu’ils obéissent à ses ordres.

Si bien qu’à son arrivée dans l’agglomération suivante l’expédition ne se composait plus uniquement d’une centaine de Blancs, mais aussi d’une bande de Rouges aux tenues chamarrées qui chantaient et psalmodiaient. Là encore, l’alcade sortit et les supplia de poursuivre leur route en leur donnant des provisions, de l’eau et lui aussi cinq cents hommes pour les accompagner. Comme Calvin se sentait un peu frustré, il fit s’ébouler une partie du mur de pierre du village afin que les autochtones aient davantage à raconter. L’alcade tomba à genoux et leur offrit tout ce qu’ils voulaient, mais Austin se contenta de lancer un regard noir à Calvin et lui dit qu’il n’y aurait plus de murs d’enceinte lorsqu’il régnerait à Mexico, parce que tout le pays serait en paix.

« Pourquoi vous avez fait ça alors qu’ils s’étaient déjà rendus ? demanda plus tard Austin.

— Il faut qu’ils voient qu’on vient armés d’un grand pouvoir, répondit Calvin.

— Eh bien, ce que vous leur avez montré, c’est qu’on vient détruire.

— J’trouverai quèque chose de mieux à faire la prochaine fois. Qui détruira rien.

— Merci infiniment », fit Austin d’un ton débordant de sarcasme.

L’aventure se poursuivit ainsi jusque sur le haut plateau mexica, dans chaque ville et chaque village, et lorsqu’ils parvinrent en vue des grandes montagnes volcaniques qui entouraient Mexico, ils avaient au moins quinze mille Rouges avec eux, l’équivalent d’une forte armée, qui marchaient devant et derrière eux, qui psalmodiaient, chantaient et dansaient à la moindre occasion.

Ce fut une entrée glorieuse qu’ils effectuèrent dans la vallée de Mexico. Mais Calvin se sentait de moins en moins à l’aise.

« Ousque sont les soldats mexicas ? demanda-t-il à Austin.

— Tous en fuite s’ils ont un peu de cervelle », répondit Austin.

Jim Bowie, qui chevauchait non loin de là, soutint Calvin.

« C’est trop facile, dit-il. J’aime pas ça.

— On a soulevé le peuple conquis contre l’oppresseur. Les soldats mexicas vont pas risquer leur vie en résistant à l’irrésistible.

— On nous tend un piège », trancha Bowie.

Aussi, pendant qu’Austin affichait un visage rayonnant et saluait de temps en temps de la main, Calvin, Bowie et une poignée d’autres membres de l’expédition gardaient l’œil ouvert, à la recherche d’une troupe qui se tiendrait cachée. Calvin envoya sa bestiole en éclaireur aussi loin en avant qu’il put, mais il ne trouva que des civils, la plupart parfaitement en vue, qui regardaient passer l’armée dans la large avenue menant au lac du centre de la vallée.

C’est seulement lorsqu’ils atteignirent la longue chaussée qui aboutissait à la cité de cérémonie au milieu du lac qu’ils rencontrèrent enfin une espèce d’opposition mexica. Des hommes en grande pompe, aux tenues bigarrées, arborant une profusion de bannières et de plumes, dont très peu avaient l’air de soldats. À vrai dire, il n’y avait pas grand-monde peut-être trois cents hommes dans tout le groupe qui venait à leur rencontre sur la chaussée.

« Ils croient qu’on va en pique-nique ? lança Bowie.

— Il faut combien d’hommes, à votre avis, pour qu’ils capitulent ? fit Austin. Calvin le Faiseur, vous valez votre pesant d’or. On n’a pas eu besoin de tirer un seul coup de feu, et nous voilà victorieux ! » Austin éperonna son cheval et s’avança dans la cohue, suivi des autres Blancs. Ils se retrouvèrent près de la tête de l’immense armée, à portée de voix des dignitaires venant de la ville.

« Nous vous demandons de vous rendre ! brailla Austin. Si vous vous rendez, vous aurez la vie sauve ! »

Il se retourna, en quête d’un interprète, mais aucun ne paraissait avoir suivi les cavaliers jusque dans les premiers rangs. Si, il y en avait un, et Austin lui fit signe de s’approcher. « Dis-leur de se rendre, ordonna-t-il. Répète-lui ce que j’ai dit. »

Mais avant que l’interprète puisse s’avancer avec le message, un Mexica emplumé, debout sur une immense litière portée par une douzaine d’hommes, se mit à parler.

« Qu’est-ce qu’il dit ? » demanda Austin.

L’interprète écouta. « C’est le grand prêtre, et il remercie les membres de… toutes ces tribus… d’amener autant de beaux sacrifices au dieu. »

Austin éclata de rire. « Il se figure vraiment que ces gens sont venus offrir des sacrifices ?

— Oui, répondit l’interprète.

— Quel imbécile ! fit Austin.

— Oui, quel imbécile, dit Bowie. Mais pas lui. »

Tous en même temps, les Rouges qui entouraient les Blancs poussèrent une grande clameur et les tirèrent à bas de leurs chevaux. Bowie réussit à en poignarder deux avant qu’on lui fasse vider les étriers. Et Calvin s’efforçait d’allumer des flammes, mais le temps lui manqua : on le jeta à terre et on lui asséna un coup de gourdin sur la tête.

 

*

 

Il se réveilla perclus de douleurs, et pas seulement à la tête, laquelle l’élançait. Il était aussi ficelé serré, couché sur un sol de pierre. Et il avait les yeux bandés.

Il pouvait rompre ses liens, mais il se dit qu’il fallait d’abord découvrir où il était et ce qui se passait. Il s’occupa donc des fils de son bandeau à l’aide de sa bestiole et obtint bientôt une ouverture par où regarder. Il se trouvait étendu par terre dans une grande salle faiblement éclairée – une quelconque église catholique à première vue, mais peu fréquentée. Deux statues de saints se dressaient contre un mur, ainsi qu’un autel près du fond, mais l’ensemble des lieux avait l’air miteux et poussiéreux.

Tous les Blancs étaient assis ou couchés par terre, et des soldats mexicas lourdement armés gardaient les portes.

Calvin envoya sa bestiole dans son dos, et il découvrit de fait quatre hommes debout au-dessus de lui. Il était le seul Blanc à bénéficier d’une garde spéciale. Les Mexicas savaient donc que c’était lui qui détenait le pouvoir. Il s’étonna qu’ils ne l’aient pas tué tout de suite – mais non, c’était lui le gros lot, celui qu’ils seraient le plus fiers de sacrifier.

Ça ne m’arrivera pas, se dit-il.

Il garda son immobilité et vérifia la condition de ses compagnons. Il devait être encore possible de se tirer de ce mauvais pas et d’arracher la victoire à la barbe de la défaite.

Puis une porte s’ouvrit, projetant un coin de lumière dans la salle, et quatre femmes entrèrent qui portaient des coupes d’or. Elles entreprirent d’offrir à boire aux hommes qui acceptèrent avidement, certains allant jusqu’à les remercier. Calvin faillit lancer un cri pour les prévenir que la boisson était droguée, mais il se dit qu’il valait mieux s’en occuper tout seul. Il passa dans chacune des tasses et sépara l’eau de la drogue qu’il fit tomber et rester au fond, sous l’eau pure. En dehors des premiers Blancs qui avaient déjà bu, aucun des autres n’absorba une goutte de drogue.

Aussi n’opposa-t-il pas de résistance lorsqu’elles s’approchèrent de lui. Il feignit d’être sonné – ce qui ne lui fut pas difficile tant la tête lui faisait mal. La douleur lui transperça le crâne au moment de s’asseoir et il regretta de n’avoir pas mieux écouté quand Alvin essayait de lui apprendre à guérir de telles blessures. Mais après les dégâts qu’il avait causés dans le pied de Pap Orignal, il hésitait à se bricoler la tête.

On lui porta la coupe aux lèvres et il but avidement.

Les Mexicas n’allaient sûrement pas tarder à se sentir sûrs d’eux à l’idée qu’ils avaient maté même le grand sorcier.

Sauf, bien sûr, que seuls les premiers hommes qui avaient bu réagissaient en drogués. Les femmes commençaient à se poser des questions, se parlaient entre elles, se demandaient pourquoi la plupart des prisonniers restaient éveillés.

Calvin les endormit donc un à un, jusqu’à ce qu’ils gisent tous inconscients par terre. C’était ce que voulaient les femmes, et elles sortirent. Les soldats les imitèrent, même ceux qui gardaient Calvin.

Dès qu’ils furent partis, Calvin réveilla tous ceux qu’il avait endormis. Mais les drogués, c’était une autre affaire. Il était facile de séparer la drogue de l’eau dans les tasses, mais impossible quand elle se trouvait déjà dans le sang d’un individu. Ils continuèrent donc de dormir tandis que les autres se redressaient sur leur séant et regardaient autour d’eux.

« Causez doucement, dit Calvin. Y a encore des gardes devant la porte et on veut pas qu’ils nous entendent.

— Salaud, fit un homme.

— Nous dis pas quoi faire. »

Mais ils parlaient doucement.

« Vous êtes donc si couillons pour m’faire porter l’blâme ? reprit Calvin. J’ai jamais dit que j’lisais dedans les pensées. Comment j’aurais connu durant l’voyage qu’on serait prisonniers ? Vous aviez deviné, vous autres ? »

Aucun ne répondit.

« Mais c’est grâce à moi que l’poison a pas pris sus vous autres quand j’ai compris que l’eau était droguée. Alors soyez pas encrèles après moi, on va chercher comment sortir d’icitte.

— Vaudrait mieux chercher vite, fit Bowie, vu que c’est toi qu’ils comptent sacrifier cet après-midi.

— J’suis blessé. J’aurais cru qu’ils me garderaient pour la fin.

— C’est pas des couillons. Et si tu veux connaître, ils nous ont dit aussi – par nos propres interprètes – que si t’allais pas de bon gré te faire sacrifier, ils nous tueraient tous mais nous enverraient pas chez leur dieu.

— Ç’arrivera pas, assura Calvin.

— Ce qu’on s’dit, fit encore Bowie, c’est qu’on s’enfuira durant qu’ils t’arracheront l’tcheur.

— L’plan est bon. ’videmment, sans moi, vous connaîtrez pas ousque vos armes sont remisées. Vous connaîtrez pas comment sortir d’icitte sans vous faire prendre. M’est avis que vous serez pas une foule à aller plusse loin que deux ou trois cents pas. »

Les prisonniers réfléchissaient à ce que venait de leur dire Calvin lorsque la terre se mit soudain à trembler. Aussitôt, de la ville au-dehors leur parvinrent des cris et des clameurs.

Calvin rompit ses liens et se mit debout. Personne d’autre n’était attaché, et tout le monde se releva. Mais les fenêtres étaient percées trop haut dans les murs pour qu’on puisse jeter un coup d’œil à l’extérieur.

La terre trembla encore.

« J’crois qu’on devrait se rallonger, des fois qu’ils viendraient nous voir.

— Ils vont pas revenir, dit Calvin.

— Comment tu connais ça ?

— Par rapport que les gardes à la porte viennent de s’ensauver. »

La porte s’ouvrit.

Bowie lançait déjà une remarque désagréable sur la confiance qu’il fallait accorder à Calvin quand il s’aperçut que l’homme debout à l’entrée n’était pas un Mexica. C’était un jeune métis vêtu à l’américaine.

« Soyez parés à vous ensauver, dit le nouvel arrivant. On a pas plusse d’un jour pour s’en partir de la ville avant que le Popocatépetl explose.

— Avant que le quoi ? fit un homme.

— Le Popocatépetl, répéta le métis. Le grand volcan. Les huchements dehors, l’sol qui tremble, c’est par rapport qu’on l’a poussé à vomir d’la fumée et d’la cendre. Et demain, tous ceux qu’auront pas quitté la ville seront tués quand l’volcan va vraiment entrer en éruption.

— Qui ça, “on” ? demanda Bowie.

— M’est avis que c’est mon frère Alvin qu’a fait tout ça, intervint Calvin. Par rapport que c’est là son beau-frère, Arthur Stuart. »

Des cris de réprobation s’élevèrent aussitôt.

« Ton frère a marié une noiraude ?

— On y a donné l’nom du roi ?

— On est supposés écouter c’que nous dit d’faire un esclave ? »

Mais la voix d’Arthur trancha dans le tumulte.

« C’est pas Alvin, dit-il. C’est Tenskwa-Tawa. Il fait entrer le volcan en éruption pour empêcher les Mexicas d’offrir des sacrifices humains. C’est entre les Rouges, Tenskwa-Tawa contre les Mexicas.

— Alors qu’esse tu fais icitte, toi ? demanda Calvin.

— J’viens te sauver, répondit Arthur Stuart. Et tous ceux qui veulent s’en venir avec nous autres.

— J’ai pas b’soin que tu m’sauves, fit Calvin d’un air dédaigneux.

— J’connais que t’as pas b’soin d’moi pour sortir de cette vieille église. Mais comment tu vas sortir d’la ville ? J’parle l’espagnol, et la plupart des genses d’icitte le parlent assez bien. J’ai aussi appris un brin de nahuatl – c’est la langue des Mexicas. Vous connaissez, vous autres, comment demander vot’ chemin ou à manger ? Et bonne chance pour trouver comment sortir de cette vallée avec tout l’monde paniqué qui va s’ensauver sus les routes. Et pis m’est avis qu’une foule de genses vont penser que c’est vous autres qui leur avez fait tomber ça sus la tête, et ils seront pas beaucoup contents d’vous voir.

— Mais pourquoi on s’en partirait ?

— Pour pas finir fin grillés et couverts de lave. Pas b’soin de s’appeler Aristote pour comprendre ça, Calvin.

— Tu causes pas d’même à un Blanc ! » cria un homme, et deux autres se levèrent pour mettre le jeune métis à mal.

Pour sa part, Calvin ne demandait pas mieux qu’ils le corrigent. Il fallait apprendre au gamin qui était le patron et lui inculquer le sens du respect.

Mais les hommes n’arrivèrent pas jusqu’à lui. Ils se mirent à glisser, à trébucher les uns sur les autres comme si le sol était soudain du marbre lisse enduit de beurre, et il devint évident au bout d’une minute que le premier qui voudrait s’en prendre à Arthur Stuart se retrouverait le derrière par terre.

Le jeune métis avait réellement appris quelques ficelles de Faiseur mais sans doute pas autant qu’il le croyait. Calvin caressa l’idée de lui déclarer là, maintenant, une guerre totale de sorciers afin de lui montrer les limites à ne pas dépasser – mais quel intérêt ? Il n’y avait pas de temps à perdre.

« Oubliez-le, dit-il. Il est venu nous sauver, alors tant mieux. Tous ceux qui veulent s’en aller, qu’ils partent avec lui tout d’suite. C’est pas un grand Faiseux mais il a un talent avec les langues et p’t-être qu’il pourra vous mener en sécurité. Mais moi, j’crois qu’on peut virer ça à notre avantage. On est venus icitte pour régner sus l’Mexique, non ? Alors on va laisser l’volcan tuer les Mexicas, pis on dira que c’est nous autres qui lui avons commandé d’faire ça et on dirigera l’pays à leur place !

— Il en dit quoi, Steve ? » demanda un homme.

Alors seulement il s’aperçut qu’Austin comptait au nombre des drogués.

« Vous connaissez ce qu’il dirait, fit Calvin. Il s’en est pas venu icitte pour abandonner. Ni pour galoper derrière un p’tit noiraud qui s’croit beaucoup fort par rapport qu’il peut rendre le sol glissant. On s’en est venus dans ce pays pour nous emparer d’un empire et j’espère bien y arriver.

— Tout l’monde connaît déjà que c’est Tenskwa-Tawa qu’a fait ça, objecta Arthur Stuart. Son peuple est déjà icitte. Il a dit quand la fumée s’mettrait à monter, et elle est montée comme il disait.

— Mais Tenskwa-Tawa va pas débarquer icitte pour régner sus l’Mexique, tout d’même. Non, j’crois pas. Quèqu’un va l’faire, alors autant qu’ça soit nous autres. Et quand tout sera fini, quand on dira aux genses que mon frère Alvin a conseillé Tenskwa-Tawa et qu’ils m’ont laissé icitte pour aider Steve Austin à devenir empereur du Mexique…

— Tous ceux qu’ont envie d’sortir vivants de cette vallée, venez-vous-en tout d’suite avec moi, lança encore Arthur Stuart.

— Plutôt crever que s’lier à un esclave ! s’écria un des hommes qu’il avait expédiés à terre.

— À vous d’choisir ! » fit Arthur Stuart.

La terre trembla encore. Et encore. Une troisième secousse fut si forte que plusieurs hommes s’effondrèrent.

« C’est pas toi qui fais ça, quand même ? demanda Bowie à Calvin.

— J’peux l’faire quand j’veux, dit Calvin.

— T’es un vrai bêtiseur, fit Arthur Stuart. Un conseil de chamans a mis une année pour amener ce volcan au point d’éruption. Même Alvin peut pas faire entrer un volcan en éruption quand il veut.

— Y a p’t-être des affaires que j’réussis mieux qu’Alvin. »

Arthur Stuart se tourna vers les autres hommes. « Vous courez vite, vous autres ? Vous croyez aller loin ? Quand l’Popocatépetl va exploser demain, partout ousque vous serez dedans la vallée, vous mourrez. Vous comprenez ? Si on s’en va aujourd’hui, tout d’suite, on en sortira à temps. Mais seulement si j’vous accompagne pour vous aider à courir vite et loin. Et lui, là, vous croyez que ça l’tracasse si vous vivez ou mourez ? Vous croyez qu’il a l’pouvoir de vous sauver d’un volcan ? Il sera chanceux s’il arrive à se sauver lui-même. » Certains hommes hésitaient. « On pourra pas prendre le Mexique si on est morts.

— On pourra si on sort de cette vallée. »

Calvin éclata de rire. « Vous avez vu ce que j’ai fait à La Vraie-Croix, non ? Vous avez oublié qui j’suis et ce que j’suis ? Ce drôle-là, c’est pas un sorcier, c’est arien, le p’tit chien que garde mon frère pour faire des tours. » Sur ces mots, Calvin poussa la porte derrière Arthur Stuart à s’envoler hors de ses gonds et à s’écraser dans la rue. Puis il créa un vent qui souleva le jeune métis et l’expédia par l’entrée.

« Tous ceux qu’en ont envie sont libres de l’suivre. Vous avez vu tout l’pouvoir qu’il a. »

Arthur Stuart réapparut à l’entrée. « Je m’suis jamais clamé plusse fort que Calvin. Mais tout son pouvoir lui donne pas un seul mot d’espagnol ni de nahuatl. Et il connaît arien sus la mayère des Rouges de courir plusse vite que tout l’monde. Venez-vous-en avec moi si vous voulez vivre. J’peux vous ramener à La Vraie-Croix, et de là vous pourrez rentrer chez vous sains et saufs. Regardez-le, il s’tracasse pas d’vous autres !

— Si, je m’tracasse surtout d’la vie d’ces hommes », dit Calvin. Puis il s’adressa directement à eux. « Vous m’avez fait confiance et j’vous donnerai ce que j’ai promessé : le Mexique. Tout l’or et toutes les richesses du Mexique. Tous les résidents seront vos sujets, tout l’pays sera vot’ propriété. Mais quand vous entendrez causer d’nous autres après gouverner avec magnificence alors que vous serez assis dedans vot’ cabane misérable au ras d’un bayou à Barcy, oubliez pas d’remercier ce drôle de vous avoir sauvés. »

Jim Bowie s’approcha d’Arthur Stuart à grands pas. « Ce drôle-là, je l’connais, dit-il. J’vais avec lui. »

Calvin n’aimait pas ça. Bowie jouissait d’un immense prestige auprès des hommes.

« Comme ça, Steve Austin aurait pas dû t’faire confiance, finalement, dit-il.

— Austin dort, repartit Bowie, et toi t’es çui qui nous a conduits icitte. Qui veut venir ?

— Oui, où sont les capons qui refusent la chance de diriger un empire ?

— Tout d’suite, dit Arthur Stuart. Pas de deuxième chance. C’est tout d’suite, si vous voulez venir avec moi. »

Une douzaine d’hommes se levèrent et vinrent rejoindre non pas Arthur Stuart, mais Jim Bowie.

« Et ceux-là qu’ils ont empoisonnés ? demanda un homme.

— Pas d’chance pour eux autres », répondit Bowie.

Mais Arthur Stuart tourna les yeux vers les hommes près de la porte, les drogués qui avaient bu les premiers. Et, sous son regard, un à un, ils se réveillèrent.

Calvin était mortifié. Cet imbécile de métis sans talent avait d’une manière ou d’une autre appris à contrecarrer le poison dans leur sang. Et il fallait qu’il en fasse maintenant étalage et s’arrange pour que Calvin ne l’oublie pas. Ignore-t-il que j’aurais pu tout apprendre si j’avais voulu ? Mais pourquoi me serais-je embêté à réveiller des hommes assez bêtes pour se laisser droguer ?

En fin de compte, aucun des hommes drogués ne voulut partir ; l’un d’eux réussit même à faire changer d’avis son frère qui voulait suivre Arthur Stuart et Jim Bowie.

Aussi, lorsque Arthur Stuart s’en alla, dix hommes l’accompagnaient. Tous les autres restèrent dans l’église. Avec Calvin.

« Asteure, tout ce qu’il nous reste à faire, dit celui-ci, c’est trouver ousqu’ils ont mis nos armes.

— Comment vous allez vous y prendre ?

— En regardant ousque va l’drôle. Vous croyez que Bowie se laisserait sortir de la vallée sans d’abord aller chercher son couteau porte-bonheur ? »

Plusieurs hommes se mirent à rire.

Effectivement, alors que Calvin suivait la flamme de vie de Bowie, il vit le petit groupe gagner un bâtiment voisin, Arthur Stuart ouvrir la porte, Bowie récupérer son couteau et leurs compagnons s’armer.

« C’est à une rue, jusse de l’autre côté des murs de cette église, dit-il.

— Allons-y, alors, dit Steve Austin. Mais on va s’organiser d’abord.

— On va s’armer d’abord, répliqua Calvin.

— Ça sert à rien d’avoir des fusils si on a pas d’plan ! »

Dix minutes plus tard, ils discutaient encore lorsque les soldats mexicas pénétrèrent en masse par l’entrée béante.

« Pauv’ couillons ! s’écria Calvin. J’vous avais dit d’partir ! »

Deux Mexicas pointèrent leurs fusils sur lui et firent feu.

Leurs armes leur explosèrent à la figure.

Mais les autres épaulaient trop vite les leurs pour que Calvin en obture tous les canons.

Il opta donc pour la seule solution raisonnable. Il recula à travers le mur.

Il avait déjà recouru à ce tour la fois où Napoléon l’avait emprisonné à Paris. Il fallait ramollir suffisamment la pierre pour se glisser au travers, comme quand on enfonce la main dans de l’argile, puis la durcir à nouveau derrière soi. Il entendit les balles percuter le mur qui se solidifiait au même instant, aussi se noyèrent-elles avec un bruit mou dans la pierre, laquelle reprit sa consistance première sans même qu’on y voie la moindre marque.

Et Calvin se retrouva hors de l’église.

Où était Arthur Stuart ? Il repéra sa flamme de vie, après tout de même des recherches acharnées, mais presque hors de portée. Bah, le gamin prétendait savoir comment sortir de la ville, et c’était ce que voulait Calvin, maintenant que les autres imbéciles avaient perdu l’occasion qu’il leur avait offerte. Ils ne méritaient pas de vivre.

Il se lança au pas de course. Il lui fallut passer près des Mexicas qui traînaient les Blancs hors de l’église, mais il n’eut pas besoin de lever un brouillard ni rien – nul ne le vit.

Pourquoi se seraient-ils méfiés, d’ailleurs ? Lui disparu, ils n’avaient rien à craindre de ces hommes désarmés. Et, sur la place devant l’église, les attendait le même grand prêtre qui était venu à leur rencontre sur la chaussée. Un à un on traînait les hommes devant lui et on les jetait sur un autel de bois dressé sur la place. Là, deux prêtres leur coupaient les vêtements pour leur mettre la poitrine à nu, et Calvin entendit leurs hurlements tandis qu’on leur arrachait l’un après l’autre le cœur avant de le brandir en offrande au dieu que les Mexicas croyaient en mesure d’empêcher l’éruption du Popocatépetl.

Quelle fin lamentable au rêve de Steve Austin ! Mais l’homme n’était rien d’autre qu’un rêveur, un planificateur. Même tout à l’heure, alors qu’il aurait pu retourner la situation en victoire, il avait choisi de dresser des plans au lieu de passer à l’action, et il allait maintenant en mourir, ce qui était fort dommage.

Calvin porta son attention vers les rues de la ville. Des gens couraient de tous côtés, et, comme Arthur Stuart était très loin, il n’avait pas d’autre moyen de le localiser. Il ignorait aussi laquelle de ces rues pourrait l’en rapprocher, il risquait donc toujours de faire un mauvais choix et de prendre une direction qui le mettrait hors de portée.

Mais il eut de la chance et ne se trompa pas une seule fois, ou du moins ne se trompa pas trop, et, au lieu de s’affaiblir, sa vision de la flamme de vie d’Arthur Stuart se renforça. Il rattrapait le petit groupe d’hommes.

Lorsqu’ils atteignirent l’enceinte de la ville, les fuyards s’arrêtèrent. Du coup, chacune de ses foulées rapprocha Calvin. Arthur Stuart ouvrait une brèche dans le mur et, du fait de sa maladresse, mettait dix fois plus de temps que nécessaire. Bah, tant mieux pour moi, se dit Calvin. Et il arriva au mur juste au moment où le dernier fuyard passait par la brèche. Il fonça droit dessus et plongea à son tour par l’ouverture.

De l’autre côté de l’enceinte s’étendait un verger où couraient Arthur Stuart, Bowie et les autres. Mais ils couraient curieusement – ils se tenaient tous la main, bon sang, l’idée la plus ridicule qui soit de l’avis de Calvin. Personne ne peut atteindre sa vitesse de pointe en tenant la main de ses voisins.

Seulement, ils couraient terriblement vite. Aucun ne trébuchait. Aucun ne titubait. Ils prenaient même de la vitesse, accéléraient sans cesse, et, malgré tous ses efforts, Calvin n’arrivait pas à les rattraper. Sans parler que le terrain se révélait moins égal pour lui que pour eux. Des branches lui fouettaient la figure, puis il trébucha contre une racine, tomba, et lorsqu’il se releva les autres étaient hors de vue. Il chercha la flamme de vie d’Arthur et ne la retrouva pas. Ne retrouva personne. C’était comme s’ils avaient cessé d’exister. Il n’y avait plus que les arbres, les oiseaux, les insectes et les échos lointains des cris venant de la ville et des routes.

Calvin s’arrêta et se retourna. Le terrain devant la ville s’était élevé, et il avait couru suffisamment loin pour voir par-dessus les murs de la cité, quoique pas jusque dans les rues. Quelque part là-bas, la plupart de ses compagnons de voyage se faisaient arracher le cœur, tandis que de l’autre côté Arthur Stuart s’enfuyait avec les dix meilleurs d’entre eux – ceux assez malins pour agir au lieu de dresser des plans. Pourquoi est-ce que j’hérite toujours des imbéciles ? se demanda Calvin.

Au-delà de la ville, le Popocatépetl vomissait d’épais panaches de cendres blanches. Elles commençaient maintenant à retomber sur la cité comme de la neige grise et chaude. Elles pénétrèrent dans les poumons de Calvin presque aussitôt et il eut l’impression qu’elles le brûlaient. Aussi consacra-t-il son attention à chasser les cendres devant sa figure tandis qu’il se lançait au pas de course dans la direction prise par le groupe d’Arthur Stuart la dernière fois qu’il l’avait vu.

Il courut, trotta puis, faute de mieux à cause de la fatigue, marcha et tituba sans apercevoir une seule fois le groupe du jeune métis ni déceler le moindre indice du chemin qu’ils avaient pris. Mais il monta de plus en plus haut sur les pentes de la vallée, jusque dans les collines, et trouva à la tombée de la nuit une maison en pisé vide de ses occupants. Il la scella afin d’empêcher les cendres de s’infiltrer, en gardant quelques trous d’aération dans les murs épais. Puis il s’écroula sur une natte de tiges de maïs posée par terre et s’endormit.

Lorsqu’il se réveilla il faisait toujours nuit. Sauf que ce n’était pas la nuit. Le soleil était levé – mais il se réduisait à un disque rougeâtre et pâlot au milieu des cendres qui saturaient l’atmosphère. Le matin. Combien de temps s’était-il écoulé depuis l’éruption ? À quel moment de la journée la fumée était-elle apparue ?

Sans importance. Peux rien y faire. Continue de marcher. Il n’avait plus envie de galoper aujourd’hui, surtout depuis que son chemin montait inexorablement et que les secousses incessantes de la terre l’auraient fait tomber s’il avait voulu courir.

Il était encore loin du sommet lorsque le volcan entra en éruption. Il eut juste le temps de se creuser un chemin dans un affleurement rocheux qui encaissa le plus gros de l’onde de choc. La secousse fut si violente que le rocher où il se cachait aurait dû céder, s’ébouler et basculer dans la vallée, mais il assura sa solidité, le maintint parfaitement en place en dehors de quelques tessons et éclats de pierre. Et lorsque le souffle ardent arriva en calcinant toute vie sur sa route, Calvin préserva autour de lui une bulle d’air assez fraîche pour y résister, aussi ne mourut-il pas.

Une fois le choc passé, il sortit dans le monde brûlant en conservant la bulle fraîche autour de lui et se retourna pour voir la lave dévaler les pentes de la montagne comme les flots jaillissant d’un barrage défoncé. Seulement elle ne se dirigeait pas vers la ville, parce qu’il n’y avait plus de ville. Le souffle en avait balayé tous les bâtiments. Restaient encore debout des structures de pierre, mais en ruines, la plupart des murs s’étant écroulés. Il n’y avait aucun signe de vie. Et le lac bouillait.

Calvin se demanda un instant si aucun homme de l’expédition d’Austin avait vécu assez longtemps pour se faire tuer par l’éruption. Sans doute que non. Qui pouvait dire quelle était la meilleure mort ? Il n’y avait pas de bonne mort. Et Calvin l’avait vue de près.

Mais la voir de près n’était pas la mort.

Refroidissant le terrain sous ses pieds afin que ses chaussures ne brûlent pas, il gravit lentement la pente, finit par atteindre le sommet avant la tombée de la nuit et se mit à descendre le versant non calciné. Les cendres étaient également tombées ici, mais le secteur avait été protégé du souffle, et il put manger les fruits dans les arbres après les avoir nettoyés de la couche cendreuse. Les fruits étaient en partie cuits – la pluie de cendres avait été à ce point chaude – mais Calvin leur trouva un goût de nectar divin.

On m’a encore une fois épargné la vie. Ma tâche n’est pas encore accomplie dans le monde.

Autant me diriger vers le nord et voir ce que fait Alvin. Il est peut-être temps pour moi d’apprendre ce qu’il a enseigné à Arthur Stuart. Ce qu’un petit métis peut apprendre, je le peux aussi, et dix fois plus vite.

La Cité de Cristal
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